La clause de destination mérite toute l'attention des parties du bail commercial. Selon l'article R.145-5 du Code de commerce, la destination des lieux, à savoir l'activité du preneur, est « celle autorisée par le bail et ses avenants ».
Fixée librement par les parties lors de la conclusion du contrat, la destination des lieux peut dans certains cas faire l'objet de révisions dans les limites tenant au statut juridique de l'immeuble qui abrite le local commercial et avec l'accord du bailleur. Il faut préciser que le preneur a la possibilité de passer outre le refus du bailleur lorsqu'il souhaite soit adjoindre une activité connexe ou complémentaire, soit changer totalement d'activité en demandant l'autorisation du tribunal de grande instance, si ce refus n'a pas été justifié par un motif grave et légitime.
De par les contraintes qui peuvent s'imposer au preneur par une certaine conjoncture économique, le statut des baux commerciaux a organisé trois procédures d'ordre public, dont la déspécialisation plénière qui permet sous diverses conditions un changement complet d'activité (article L.145-48 du même code). Point de Vente vous expose un cas intéressant en la matière, qui mêle quelques subtilités.
Un cas intéressant autour de la déspécialisation plénière
Une locataire est titulaire d'un bail commercial pour l'activité principale de location de vidéos DVD ainsi que toutes autres activités connexes ou complémentaires (distribution automatique, notamment). Elle souhaite changer d'activité pour des raisons économiques et commerciales pour se lancer dans l'alimentation générale. Il s'agit ici d'une déspécialisation plénière, la location de vidéos DVD et l'alimentation générale n'étant ni connexes ni complémentaires. Les travaux nécessaires à l'aménagement du local sont conséquents, la clientèle est différente.
La locataire du bail a ainsi formulé une demande de renouvellement du bail avec changement d'activité en commerce d'alimentation générale. La bailleresse a respecté le principe de renouvellement mais n'a pas donné son accord au changement d'activité.
Le jugement de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence
La Cour d'Appel a jugé que la déspécialisation plénière devrait être autorisée lorsqu'elle est motivée par les nécessités de la conjoncture économique, conforme au règlement de copropriété de l'immeuble, et lorsqu'il n'existe aucune clause de non-concurrence consentie à un autre locataire de la même bailleresse pour cette activité.
La Cour d'Appel a effectivement constaté que le chiffre d'affaires de la locataire a baissé sans discontinuer de 2004 à 2010, alors que le commerce de proximité d'alimentation générale présente des perspectives économiquement intéressantes. Elle a toutefois estimé que la reprise des lieux par la bailleresse après la mise en œuvre de la clause résolutoire du bail prive d'objet la demande d'autorisation du preneur. Ce dernier a également été débouté de sa demande de recevoir l'indemnité d'éviction, puisque sa demande d'autorisation a perdu ses effets juridiques, « d'une part pour la première promesse de cession de la défaillance de la condition suspensive d'obtention du prêt d'acquisition par le cessionnaire et d'autre part pour la deuxième promesse de la non-réalisation de la condition suspensive de l'accord du propriétaire sur cette déspécialisation totale. »
Le cas de la « déspécialisation incluse »
La déspécialisation partielle et plénière ainsi que la cession-déspécialisation sont finalement des atténuations majeures du principe posé par l'article 1103 du Code civil dans la mesure où le bailleur ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire d'opposition au changement revendiqué par le preneur. D'un autre côté, la jurisprudence est venue prêter main forte au preneur amené à faire évoluer son activité commerciale au gré des besoins du marché. Ainsi, le dispositif de « déspécialisation incluse » considère que certaines activités, bien que non listées dans la clause de destination du bail, sont implicitement incluses dans la destination contractuelle. Concrètement, le preneur n'a pas besoin de mobiliser l'une des trois procédures de déspécialisation. En cas de contestation du bailleur sur l'usage de cette liberté, le juge du fond est amené à extraire le sens contemporain de la destination en répondant à la question suivante : quelle destination les parties auraient-elles adoptée face aux caractéristiques réelles du marché actuel ?